Par : Sulaiman Al-Bassam, écrivain et dramaturge koweïtien.
« C’était le meilleur des temps, et c’était le pire des temps »* — C’est ainsi que commence le roman, et c’est ainsi que KAF, citoyen koweïtien, s’est lancé dans un voyage à la découverte des expériences culturelles des capitales voisines du Golfe. Carnet en main et débordant d’enthousiasme, il a choisi l’une des expériences culturelles les plus riches de la région : un pays qui, vingt ans auparavant, avait décidé que la culture n’était pas un simple « clinquant », mais un projet national. Ce pays s’était attelé à la construction d’un projet culturel avec la même détermination et la même rigueur que pour les aéroports : un plan clair, une résolution inébranlable et une générosité sans bornes. Il a invité des musées comme le Louvre et le Guggenheim, et a transformé une île entière en un centre des arts et du savoir. Des ateliers ont été construits, des festivals organisés, des milliards dépensés, et des zones entières ont été désignées comme « secteurs créatifs », les préparant à s’épanouir, et non à les étouffer. Le pays avait compris que le développement urbain, à lui seul, ne crée pas la culture, et il ne s’est pas contenté que les bâtiments ne fassent que transmettre du sens. Au lieu de cela, ils ont invité les universités les plus prestigieuses du monde – de New York à la Sorbonne – et les ont accueillies avec de vastes terrains, une réglementation souple et des budgets généreux, leur permettant d’opérer en toute liberté. Aujourd’hui, vingt ans après le lancement du projet, les résultats parlent d’eux-mêmes : expositions internationales, artistes captivants, des milliers de spectateurs, un tourisme culturel générant des dizaines de millions d’euros et des expositions qui rythment l’année… une scène vibrante et intégrée, une culture en pleine croissance, palpitante comme un cœur, à l’image d’une nation qui sait précisément ce qu’elle veut. Quant à nous, notre histoire se résume en deux mots : notre Musée national se meurt depuis l’invasion, nos théâtres sont devenus des refuges pour chats et chiens errants, et la semaine dernière encore, la Galerie Sultan – la plus ancienne galerie d’art de la région – a fermé ses portes ! Ils ont commencé il y a seulement vingt ans, et nous avions quarante ans d’avance sur eux, mais la différence est aujourd’hui flagrante : leurs projets prospèrent tandis que les nôtres dépérissent ; leurs projets créent de la valeur tandis que les nôtres en perdent. Leurs projets attirent le monde, tandis que les nôtres ne rapportent que poussière… Ils perçoivent la culture comme une forme de soft power, alors que nous la considérons comme un simple accessoire. Et ce, malgré les plus d’un milliard de dinars dépensés par l’État pour les centres culturels Jaber Al-Ahmad et Abdullah Al-Salem – des bâtiments qui brillent comme des antiquités, mais qui prospèrent davantage grâce à la poussière qu’à l’art. Ils abritent plus d’agents d’entretien que d’artistes de théâtre, de musiciens ou d’artistes visuels – de simples boîtes magnifiques… dénuées de toute signification. Sur le chemin de l’aéroport, le citoyen « Kaf » était assailli par toutes ces questions, jusqu’à ce que la peur s’insinue en lui : Et si les scanners captaient mes pensées ? Et si je me retrouvais accusé à cause d’une phrase que je n’avais même pas encore écrite ? « Kaf » tremblait de peur et remercia Dieu que les embouteillages aient bloqué sa route et l’aient empêché d’atteindre l’aéroport. De retour chez lui, il jeta son carnet et répéta cette phrase comme un mantra : « C’était le meilleur et le pire des temps. »* *Phrase d’ouverture du roman de Charles Dickens « Un conte de deux villes ».



![]()
