Carthage…

Le nouveau numéro de Mythologie(s) magazine consacré à la civilisation carthaginoise vient de paraître. Il est en vente en kiosque et sur le site https://www.monmag.fr/produit/mythologies-n55/ . En voici l’édito :

Carthage fut fondée sur les rives de l’actuelle Tunisie par des Phéniciens de Tyr en 814 av. J.-C. Elle prit ensuite le relais la cité mère pour se muer en empire, comme les États-Unis le firent avec l’Angleterre si l’on ose ce raccourci. Devenue une puissance maritime et militaire dans le bassin méditerranéen, particulièrement en Afrique du Nord, en Sicile et en Espagne du Sud, elle concurrença les Grecs et précipita sa chute en défiant Rome lors des trois guerres puniques.

Comment alors cette extraordinaire civilisation carthaginoise, ou punique, qui aura duré six siècles et demi (814-146 av. J.-C.), a-t-elle pu sombrer dans la mémoire avec ses bateaux ? Parce que Caton l’Ancien l’aurait jetée à la vindicte en prononçant sa fameuse formule « Delenda est Carthago » (il faut détruire Carthage !) chaque fois qu’il commençait ou terminait un discours devant le Sénat romain, aujourd’hui populaire grâce à Goscinny et Uderzo qui s’en amusèrent ? Car la troisième guerre punique s’acheva effectivement par la destruction complète de la ville ? Ou du fait qu’elle n’a pas su maîtriser son récit ? C’est là peut-être une leçon de l’Histoire. De même que les Grecs ont attribué leur nom aux Celtes, les Romains baptisèrent leurs voisins Punicus d’après le grec ancien phoînix, « phénicien, carthaginois ».

Les narrations nous donnent ensuite l’image d’un peuple audacieux – Hannibal et ses éléphants traversant les Alpes force l’admiration –, aux mœurs cependant cruelles dont les dieux et les rituels témoigneraient. Le sacrifice des nouveau-nés au dieu Moloch-Baal dans un brasier est un grand classique.

Il a fait le bonheur des péplums muets américains et figure dans Les Aventures d’Alix. Certes, le tophet de Carthage, cette aire sacrée à ciel ouvert, déborde de cendres d’enfants et d’ex-voto, mais l’immolation d’enfants décrites par Diodore, reprise par Flaubert dans Salammbô, convainc de moins en moins les archéologues… Admettons que le Carthaginois n’était pas sanguinaire, il va sans dire qu’il était sournois et fourbe ! Les Romains, fidèles lecteurs de la littérature grecque à l’origine du « punique perfide », ne dénonçaient-ils pas eux-mêmes la « punica fides », la mauvaise foi punique ? La question vaut qu’on y réfléchisse, car si les pierres témoins disparaissent, les stéréotypes et les images d’Épinal perdurent. Avec ses mythes et ses dieux, ses hommes et ses batailles, la fière Carthage nous interroge donc plus que jamais sur les rapports entre les peuples bordant la Méditerranée.

Bertrand Audouy, rédacteur en chef.

Illustration par notre correspondante à Paris
Mme.Afrah VERICHON

Loading

Rate this post

La Gazette

Learn More →

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

You May Have Missed!